Article 24 : Écrire la loi, c’est le rôle des députés. La réécrire aussi, au besoin

Alors que les groupes parlementaires de la majorité ont annoncé leur intention de réécrire l’article 24 de la proposition de loi dite « sur la sécurité globale », François de Rugy et une vingtaine de députés de la République en Marche prennent la parole pour préciser leur position.

Les votes des députés sur les textes de lois sont publics. Et nous assumons totalement nos votes, qui ont parfois divergé d’ailleurs, sur la proposition de loi sur la sécurité globale, en première lecture à l’Assemblée nationale la semaine dernière.

Pour s’opposer à cette proposition de loi, certains ont choisi de brandir aux foules des caricatures des députés qui ont voté pour. La mise en scène n’était pas sans évoquer les affiches « wanted » d’un far-west américain adepte du lynchage et on aura du mal à trouver l’apport de cette pratique au débat public - sinon une volonté d’intimidation peu compatible avec la démocratie.

Mais aucun « mur de la honte » ne nous fera renoncer à notre double volonté politique : refuser le déni et ne pas succomber au conformisme idéologique.

Et parce que nous considérons qu’expliquer est plus utile que dénoncer, nous prenons la parole aujourd’hui, en tant que députés de la majorité.

Notre action législative est en premier lieu fondée sur le refus du déni : le déni qui conduit à minimiser les risques, à refuser de voir la réalité en face. Comment pourrait-on ignorer que le développement de nouveaux médias en ligne, que la diffusion d’images et d’information sur les réseaux sociaux conduisent à des phénomènes nouveaux, particulièrement inquiétants ? Aux libertés nouvelles, à l’accès démultiplié à l’information s’ajoutent également de nouveaux risques. S’il faut protéger les libertés nouvelles, il faut se prémunir aussi contre les menaces nouvelles contre les droits les plus élémentaires de la personne humaine, à commencer par le droit au respect de sa vie privée, au caractère privé de son adresse ou de son numéro de téléphone. En quelques clics, il est possible à des personnes malintentionnées de jeter en pâture des agents de l’État, comme Samuel Paty l’a été. Ce phénomène touche particulièrement les policiers. Aujourd’hui des comptes Twitter ou Facebook révèlent des informations privées permettant de les identifier, de conduire à leur domicile, de révéler l’identité de leurs proches. Au risque de les mettre en danger. Comment les policiers pourraient-ils ne pas s’en inquiéter, quand il est courant que certains de leurs collègues doivent déménager après que leur présence dans un immeuble a été mise sur la place publique, quand la folie terroriste a déjà conduit au crime horrible qui a vu un couple de policiers sauvagement assassiné à son domicile ? C’est pour mettre fin à ces dérives, sans que soit mise en cause la liberté d’informer, qu’un article (le fameux article 24) a été introduit dans la proposition de loi qui fait l’objet de l’examen parlementaire en cours.

Car tout autant que le déni de la réalité du danger, nous refusons le conformisme idéologique habillé en conservatisme juridique. Il consiste, dès lors que des parlementaires veulent légiférer pour régler des problèmes, à prétendre que « tous les outils sont déjà dans la loi ». La diffusion de messages de haine sur internet ? Pas besoin de légiférer, tout est déjà dans la loi ! Le harcèlement en ligne ? Pas besoin de légiférer, tout est déjà dans la loi ! La radicalisation en ligne ? Pas besoin de légiférer, tout est déjà dans la loi ! Et aujourd’hui, éviter de voir des agents de l’État, et singulièrement les policiers, transformés en cibles potentielles ? Pas besoin de légiférer, tout est déjà dans la loi !

Ce conservatisme juridique ne trompe pas grand monde. En tout cas il ne nous impressionne pas.

Il n’est qu’un déni de réalité supplémentaire : celui qui consiste non plus à ignorer les dangers, mais à ignorer l’inefficacité de dispositifs juridiques datant d’une époque où internet n’existait pas. Un peu comme un médicament qui ne produirait pas d’effets mais qu’on continuerait à administrer à un patient dont l’état se dégraderait et auquel on dirait, faisant fi de la réalité de sa santé : mais vous avez votre traitement ! Aucun médecin n’agirait de la sorte.

Quand un traitement ne fonctionne plus, on doit en changer : quand une loi ne protège plus, on doit la modifier.

Et modifier la loi, c’est le rôle du Parlement.

C’est difficile. Toujours. Et cela fait débat. Toujours. C’est le cœur même de la démocratie.

C’est d’autant plus difficile que sont en jeu des concepts qui fondent notre pacte démocratique et sur lesquels chacun est légitimement vigilant, nous les premiers : la liberté d’informer, mais aussi la protection des personnes.

Nous ne sommes pas dupes des petits calculs politiciens qui conduisent certains opposants à se faire aujourd’hui les chantres de la liberté de la presse, alors qu’hier ils applaudissaient Jean-Luc Mélenchon lorsqu’il professait que la « haine des médias et de ceux qui les animent » était « juste et saine ».

Nous ne sommes pas dupes des enjeux d’audience que représente, pour certains médias, la capacité à diffuser sans entrave ni responsabilité des images ou des propos sans se soucier du danger potentiel que pourraient courir des membres des forces de l’ordre.

Il est d’ailleurs piquant de constater que des médias qui se sont offusqués d’une « obligation de floutage du visage des policiers » qui n’a JAMAIS figuré dans la proposition de loi floutent les visages des émeutiers détruisant des magasins, incendiant des voitures ou s’attaquant lâchement aux policiers. Comment prétendre que ce qui constituerait un danger pour les uns serait inoffensif pour les autres ?

Nous ne sommes pas dupes, mais nous ne sommes pas non plus sourds ni aveugles. Et si la rédaction de l’article 24 suscite de l’incompréhension sincère chez certains citoyens, le processus parlementaire doit permettre de préciser les choses, et d’améliorer en profondeur sa rédaction.

Écrire la loi, c’est notre rôle. La réécrire aussi au besoin. Et nous sommes bien déterminés à le faire.

Parce qu’à nos yeux, la honte ce n’est pas d’être exposés aux regards de la foule au travers de nos caricatures : la honte serait, face aux inquiétudes d’agents de l’État qui nous protègent et de leurs proches, de succomber au déni de réalité et au conformisme idéologique contre lesquels nous nous sommes ensemble, en 2017, mis en marche.

 

Premiers signataires : François de Rugy – Lionel Causse – Alain Perea – Damien Pichereau – Romain Grau – Dominique da Silva – Christophe Lejeune – Laurianne Rossi – Carole Bureau-Bonnard – Sandra Marsaud – Sereine Mauborgne – Patrice Perrot – Hélène Zannier – Valérie Oppelt – Véronique Riotton – Cécile Muschotti – Christine Hennion– Catherine Fabre – Audrey Dufeu – Stéphane Buchou – Benjamin Dirx -